Cérémonies d'ouverture officielle en Clare (le 26 janvier 1999)
Découpure du ruban à l'ouverture officielle de l'exposition "À la découverte de Jean Mandé Sigogne". De gauche à droite: M. Gérald C. Boudreau, président du Comité Sigogne 200e, M. Jean Melanson, préfet de la Municipalité de Clare, Mme Doreen Surette-Boucher, préposée au Centre acadien de l'Université Sainte-Anne et organisatrice de l'exposition, et Prof. Neil Boucher, directeur du Centre acadien. |
[Avec la gracieuse autorisation de la direction de Le Courrier de la Nouvelle-Écosse, l'article suivant et l'éditorial sont tirés de la publication du vendredi 29 janvier 1999, année 62 - n o 41.]
Les fêtes Sigogne 200e sont lancées de façon grandiose en Clare
POINTE-DE-L'ÉGLISE: La Société historique acadienne de la Baie Sainte-Marie a lancé les célébrations Sigogne 200, les fêtes marquant le bicentenaire de l'arrivée du missionnaire, père Jean Mandé Sigogne, au sud-ouest de la N.-É.
Raymond LeBlanc, président de la Société historique, a accueilli plus d'une centaine de personnes venues au lancement des activités qui se dérouleront au cours de l'année: "Il s'agit d'un événement spécial pour nous, Acadiens, qui a influencé le cours de notre histoire. Ce que nous célébrons, de fait, c'est plus que la simple arrivée de notre héros Sigogne, c'est aussi et surtout ce que nous sommes aujourd'hui à cause de sa venue", a dit M. LeBlanc. Le président de la Société historique a noté que: "Tout en attirant notre attention sur l'oeuvre du père Jean Mandé Sigogne, ce bicentenaire nous portera à penser à l'ensemble des héros de notre histoire. Ce sera pour nous une occasion de réfléchir sur notre identité, en voyant dans notre passé une explication de notre présent." Il a présenté ses collègues sur ce Comité organisateur de Sigogne 200, le président, Gérald C. Boudreau (Société historique), Victor LeBlanc (municipalité de Clare), Mildred Comeau (FANE), Chester Melanson (communauté). Raymond LeBlanc a noté de plus que l'histoire de Clare commence en 1768. Le peuple acadien était heureusement aidé, après son arrivée, de ses amis Mi'kmaqs. "Lorsque le père Sigogne est arrivé 30 ans plus tard, nos pionniers étaient assez bien établis, mais, privés d'éducation, ils avaient besoin de chefs capables de les diriger et de défendre leurs intérêts. Ils réclamaient aussi les services pastoraux d'un prêtre catholique parlant leur langue. Le père Sigogne a su répondre à leurs besoins."
Gérald Boudreau a ensuite présenté sa causerie intitulée Le quotidien d'un héros inconnu. "Ce soir, je tente l'impossible: résumer la vie de Sigogne dans une causerie de 45 minutes. Je me propose de vous dessiner un portrait de sa vie." En passant par la naissance en France de Jean Mandé Sigogne, son passage en Angleterre lors de la Révolution française et son arrivée en Acadie, Gérald Boudreau a présenté le "grand personnage dans notre histoire". Natif de Beaulieu-lès-Loches en France en 1763, le missionnaire est devenu prêtre et, lors de la Révolution française, a dû s'expulser en Angleterre d'où il s'est rendu au sud-ouest.
"Dès son arrivée dans la région du Cap Sable, il établit un registre officiel de baptêmes, mariages et sépultures (le 4 juillet 1799), ce qui n'existait pas auparavant dans cette paroisse." Il a fait de même dans la paroisse Sainte-Marie, inscrit le 11 août de la même année. "Pour le jeune prêtre, l'année 1800 a été très occupée à mettre en place toutes les autres structures des paroisses et en même temps à essayer de préparer la construction de nouvelles églises. Sigogne a oeuvré au milieu des Acadiens pendant 45 ans. Durant son ministère, selon M. Boudreau, pas moins de 12 édifices publics ont été construits: 2 églises et 1 presbytère à Pointe-de-l'église, 1 église et 1 presbytère à Sainte-Anne-du-Ruisseau, des églises à Pubnico-ouest, à Meteghan, à Plympton, à Digby, à Bear River et à Corberrie. "Cela tient du prodige si l'on considère le nombre d'autres fonctions qu'il a remplies, la plupart du temps sans aide, les différends qu'il a endurés, les rigueurs de la vie de campagne qu'il a supportées, le ministère souvent difficile qu'il a exercé et le fait qu'il était déjà septuagénaire lorsque ses dernières églises ont été complétées." Gérald Boudreau estime qu'en dépit des nombreux différends survenus avec ses paroissiens (il était autoritaire) et de leur résistance à ses directives, père Sigogne "a réussi à mériter le respect et l'estime des siens par son comportement exemplaire et par sa fidélité au devoir sacerdotal."
La soirée s'est poursuivie par la coupe du ruban de l'exposition À la découverte de Jean Mandé Sigogne à la galerie père-Léger-Comeau. Doreen Surette-Boucher, préposée au Centre acadien de l'Université et organisatrice, a souligné la provenance des documents et articles: le Centre acadien, l'évêché de Yarmouth, le Centre de recherche Les archives père Clarence d'Entremont et le Musée acadien de l'Université de Moncton. "L'exposition est montée à l'intérieur de neuf vitrines, chacune avec un thème particulier ayant trait à la vie et à la carrière de ce curé."
Puis le père Maurice LeBlanc, peintre, a dévoilé une peinture du père Sigogne (il n'existe aucune photo du père missionnaire), réalisée grâce à l'appui financier du Conseil des arts de la Nouvelle-écosse. En dévoilant son oeuvre, le père LeBlanc a précisé avoir trouvé son inspiration dans les livres d'histoire de l'époque, les photos de neveux lointains de Sigogne et de peintures des hommes de clergé de cette période. Puis ce fut le dévoilement officiel au son des Oh! et des Ah! du public entassé dans la galerie. Bref, après 200 ans, le père Sigogne réunit encore des gens de Par-en-Haut et de Par-en-Bas. Une belle réussite pour tous les responsables des activités du bicentenaire et ça ne fait que commencer!
De gauche à droite: Mme Doreen Surette-Boucher, préposée au Centre acadien de l'Université Sainte-Anne et organisatrice de l'exposition "À la découverte de Jean Mandé Sigogne", la peinture de l'artiste père Maurice LeBlanc, cjm, placée sur un fauteuil ayant appartenu à Sigogne, et M. Gérald C. Boudreau, président du Comité Sigogne 200e.
Sigogne
Un de mes amis acadiens aime, comme plusieurs d'entre nous, lire. Mais il est très particulier dans sa recherche littéraire, il ne veut lire que des vraies histoires. Les personnages, les événements qui sont le fruit d'une imagination créatrice ne l'intéressent nullement, manquant, selon lui, de chaire et de sang. Il a lu tous les bouquins qui touchent l'histoire de Clare, de la Nouvelle-France (Weymouth), des petites cabanes dans le fond des bois, des guides de chasse et de pêche Mi'kmaq, des bûcherons.
Mais il n'a jamais lu l'histoire d'Évangéline. Cette femme dit-il, n'a jamais existé. Si on lui fait remarquer que ce personnage symbolise l'histoire de son peuple, il répète qu'il n'a aucun intérêt pour une histoire sortie de la tête d'un Américain sympathique au drame des Acadiens. Un point c'est tout.
Je crois que l'exposition sur Jean Mandé Sigogne est faite sur mesure pour ce récalcitrant. L'homme est réel, il a vécu ses grandeurs, ses faiblesses, sa joie et sa fureur de vivre au coeur du peuple acadien pendant 45 ans. Inévitablement, il est passé par bien des émois et fort probablement par bien des angoisses existentielles. Sigogne revient sur scène pour nous raconter ce qu'il était et surtout le rôle qu'il a joué dans l'identité actuelle des Acadiens. En s'accrochant à chacune des 9 vitrines de l'exposition, l'Acadien et l'étranger lèveront un peu le voile sur la complexité du peuple Acadien. Doit-on le redire, si nous connaissons notre histoire passée, nous apprenons qui nous sommes.
À travers les écrits, les lettres, on commence à comprendre dans quel tissu a été taillé le peuple acadien. Quelle aubaine que de découvrir le père Jean Mandé Sigogne et comme de la crème fouettée sur un pâté aux cerises une part de vérité sur les moeurs, les attitudes, les croyances, l'entêtement du peuple installé au retour de l'exil, sur la pointe du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.
Les responsables de ce projet n'avaient que très peu d'argent dans leur coffre pour créer une exposition semblable. (Pas tout à fait comme l'exposition lancée cette semaine au Musée de l'histoire naturelle à Halifax.) Il faut souligner le travail de Doreen Surette-Boucher qui s'est éprise du personnage. Elle a bien développé les différents aspects de Sigogne, le plaçant au milieu d'un troupeau parfois rebelle, parmi les Mi'kmaqs, seul devant une page blanche pour transmettre à la France son bulletin de santé, ses frustrations ou ses inquiétudes au sein d'une population isolée vivant sans loi, comme des barbares.
Sigogne a fuit une révolution qui l'a chambardé, voire transformé à tout jamais, me souligne Neil Boucher du Centre acadien. Ce bouleversement allait altérer ses attitudes et son comportement tout au long de sa vie. Le changement était pour Sigogne une porte ouverte sur la rébellion, l'indiscipline, les ébats humains de tous genres et bien sûr était dangereux. Dans les corridors, les visiteurs racontaient les rapports personnels qui existaient encore, il n'y a pas si longtemps entre le clergé et les Acadiens. "Le curé de la paroisse nommait par leur nom les pêcheurs en pleine messe le dimanche", mais de dire une autre: "Les prêtres ont toujours été impliqués dans la vie culturelle, ce sont eux qui nous ont défendus, pensez au père Léger Comeau." Sigogne avait bien tracé la voie pour le clergé qui allait prendre la relève.
Bref ce bicentenaire sur le père Jean Mandé Sigogne est des plus éloquents. Tous devraient s'y rendre, sans faute, pour en apprendre un peu plus non seulement sur ce berger imparfait mais surtout sur le troupeau de fidèles qui de fait, sont nos ancêtres acadiens.
Merci à Gérald Boudreau, le grand responsable du bicentenaire de l'arrivée de Sigogne, et probablement le grand complice de ce personnage qui a contribué à définir la fibre, l'identité des Acadiens du sud-ouest de la province.
Danielle Marchand (rédactrice de Le Courrier de la Nouvelle-Écosse)