Tel qu'indiqué à la fin de ce manuscrit, le sermon Fames in terra a été "commandé de la part du gouvernent". Il a été prêché par Jean Mandé SIGOGNE d'abord à la paroisse Sainte-Marie (Pointe-de-l'Église, Nouvelle-Écosse) le 27 juin 1800 en un jour de jeûne, et ensuite à la paroisse Sainte-Anne (Sainte-Anne-du-Ruisseau, Nouvelle-Écosse) le 22 septembre de la même année à une messe de dévotion publique.
S'inspirant de deux passages de l'Ancien Testament, 1 R 8, 37-39 et 2 Ch 6, 28-35, le prédicateur explique les maux de la terre qui sont les conséquences des péchés des hommes. Dieu viendra cependant à leur secours s'ils se conduisent selon la volonté divine. Il présente en détail "l'origine, la cause et les motifs" de la Révolution française. Il supplie ses paroissiens de prier Dieu, non pas d'anéantir les ennemis, mais "de les ramener à la voie de la justice et de la vérité".
En dépit de l'état abîmé du manuscrit conservé au Centre d'études acadienne(1) (retour), la transcription de Fames in terra est fidèle au texte de l'auteur. Les expressions entre crochets ([ ... ]) dans la transcription suppléent les mots illisibles dans le manuscrit; parfois il n'y a pas de suppléance pour éviter de faussement interpréter la pensée de l'auteur. Tout en respectant la fidélité au texte de l'auteur, la transcription observe, autant qu'il est possible, une ponctuation et une orthographe modernes. Aussi, la pagination du manuscrit est identifiée entre crochets dans la transcription à partir de la page [2]. Les notes en bas de pages sont identifiées par des numéros entre parenthèses.
Fames si oborta fuerit in terra aut pestilentia, aut corruptus aer, aut aerugo, aut locusta, vel rubigo, et afflixerit eum (populum tuum) inimicus ejus portas obsidens, omnis plaga, universa infirmitas, cuncta devoratio, et imprecatio, quae acciderit omni homini de populo tuo Israel: si egressus fuerit populus tuus ad bellandum contra adversarios suos per viam in qua miseris eos, adorabunt, si quis cognoverit plagam cordis sui, et expanderit manus suas in domo hac. Tu exaudies de caelo preces eorum, et obsecrationem et repropitiaberis et ulciscaris, et facies ut des unicuique secundum omnes vias suas, sicut videris cor ejus. (3 Reg 8, 37-39; 2 Paralip 6, 28-35)
Si sur la terre il s'élève une famine, ou une peste, ou que l'air se corrompe, si la nielle, les sauterelles ou les chenilles affligent votre peuple, ô Seigneur, si son ennemi vient assiéger les portes de ses villes, enfin si toute sorte de plaie, toute espèce de maladie, de désastre et de malédiction tombe sur quelqu'homme de votre peuple d'Israël; si votre peuple marche pour faire la guerre à ses ennemis selon que vous le dirigerez dans la voie, si quelqu'un connaît la plaie que le péché a fait à son coeur et qu'il vienne étendre les mains dans cette maison pour vous prier, écoutez, ô Seigneur !, du haut du ciel, le principal séjour de votre gloire, les prières et leurs demandes, soyez-leur propice et prenez leur défense et rendez à chacun selon ses voies et ses oeuvres, selon la connaissance que vous avez du coeur de l'homme dont vous voyez le fond et les replis les plus secrets.
Ces admirables et belles paroles, tirées de l'écriture, que vous venez d'entendre, mes frères, font partie de l'admirable prière que Salomon adressa à Dieu après qu'il lui eut dédié le temple qu'il venait de lui bâtir, qui se trouve au 8e chapitre du 3e livre des Rois et au 6e du 2e livre des Chroniques. Dieu écouta la prière de ce grand roi zélé pour le service de l'honneur du vrai Dieu et daigna lui assurer qu'il écouterait la prière et les [demandes] de quiconque viendrait dans son temple avec un coeur droit et [simple] lui adresser ses demandes, qu'il bénirait son peuple et que tant qu'il lui resterait fidèle et qu'il marcherait dans la voie de ses commandements, il le protégerait et le défendrait contre ses ennemis. Telle a toujours été la conduite de Dieu à l'égard des hommes et surtout à l'égard du peuple qu'il s'était choisi de les abandonner à leur sens, réprouvé à leur malheur lorsqu'ils se sont écartés du droit chemin de la vertu et de les humilier sous leurs ennemis lorsqu'oubliant qu'il devait être leur force et leur assistance, ils se confiaient en eux-mêmes, s'en orgueillissaient et s'appuyaient sur leurs bras de chair comme parle l'écriture. Ainsi délaissés, ils en sentaient bientôt la faiblesse et l'humiliation, l'abaissement sous de cruels maîtres, le mépris dans lequel ils tombaient, les durs et pénibles travaux qu'on exigeait d'eux, l'oppression sous laquelle ils gémissaient, en un mot tout les convainquait bientôt de leur présomption et de la vanité des choses sur [lesquelles] ils s'appuyaient et de leur propre faiblesse. Ainsi, accablés, humiliés, punis, maltraités pour leurs orgueilleuses prétentions, pour leurs péchés, leur peu de soumission à la loi qu'ils avaient vécue, ils recouraient à leur maître, à leur Dieu, leur force, leur défenseur, à leur seule espérance, reconnaissant leurs infidélités, confessant leurs [fautes], s'humiliant enfin sous la main puissante de Dieu qui les châtiait avec tant de justice, ils en recevaient bientôt le secours qu'ils attendaient [2] et Dieu qui châtiait son peuple en père, les traita aussitôt comme ses enfants et ses enfants chéris dès qu'ils revenaient à leur devoir. D'abord, à peine en possession de la terre de Chanaan que Dieu avait promise à leurs pères, ils oublient déjà le Seigneur qui les avait tirés de l'égypte et nourris dans le désert d'un pain descendu du ciel, pour servir Baal et Astarté, les faux dieux des nations que Dieu avait détruites par leurs mains à cause de leurs abominations, et la colère du Seigneur s'appesantit sur Israël, il les abandonna entre les mains d'un cruel tyran nommé Chusan (2) (retour) qui les tint dans un esclavage dur et avilissant durant huit années. Sentant la main qui les réprimait, ils s'adressent à leur Dieu dans leur affliction; il les écoute et leur envoie un libérateur qui les délivre de l'esclavage où ils gémissaient. Ils retournent encore à leurs mauvaises voies, et de nouveau Dieu les abandonne à leurs ennemis qui leur font la guerre, s'en rendent les maîtres, les maltraitent et les retiennent sous leur puissance. Ainsi opprimés, ils s'adressent au Dieu de leurs pères, ils crient vers lui, ils sont entendus, ils sont exaucés et délivrés des maux qui les affligent. Ceux qui les oppriment sont punis et humiliés à leur tour. à toutes les fois qu'ils s'écartent de la justice, ils sont châtiés. Cent fois ils sont tombés dans la prévarication, cent fois ils en sont punis; ils ont élevé leurs mains vers Dieu ensuite et Dieu les a délivrés aussitôt. Le châtiment suit de près le crime et tôt ou tard on le sent. Ces exemples, mes frères, en même temps qu'ils nous effraient par la rigueur exercée de la part de Dieu sur les pécheurs, doivent nous consoler en considérant la bonté et la promptitude avec laquelle Dieu dans sa miséricorde écoute les prières de son peuple et l'assiste; lui pardonne et le rétablit dans ses droits et sa gloire.
Comme les Juifs, nous avons souvent offensé la majesté divine; comme eux nous avons attiré par nos prévarications, par notre libertinage, par nos excès et nos débauches en tous genres la colère de Dieu qui est suspendue sur nos têtes et s'appesantit sur nous et nous en ressentons les terribles effets dans une guerre presque universelle dont le ravage et le désastre se fait ressentir dans toutes les parties de ce globe que nous habitons et afflige d'une manière particulière les plus belles parties de l'Europe. Elle a porté la désolation jusque dans le sanctuaire. Mais pour vous faire mieux entendre comment et pourquoi vous devez prier aujourd'hui, j'entrerai plus dans le détail et je vais vous expliquer l'origine, la cause et les motifs de cette guerre malheureuse. Vous entendrez les raisons qui la rendent si longue et si sanglante. Je prétends parler d'après les principes de l'écriture et en particulier de l'évangile. Je ne veux montrer aucune haine, aucun resentiment contre ceux qui l'ont commencée, ni contre ceux qui l'entretiennent et veulent la faire durer. Je pardonne de bon coeur à mes persécuteurs et à tous les ennemis publics et particuliers que j'ai eus dans ces malheureuses circonstances. Mon souhait le plus ardent est que les impies, les sacrilèges, les apostats, ceux qui ont renoncé à Dieu, ceux qui ont persécuté et persécutent encore son église reviennent à eux-mêmes, abandonnent leurs mauvaises voies, [ouvrent leurs yeux], quittant leurs égarements rentrent dans la voie du salut dont [3] ils se sont si étrangement écartés. Il est écrit, mes frères, qu'il faut qu'il y ait dans ce monde des hérésies, des schismes et des scandales pour la confusion des méchants et l'épreuve des bons, pour servir à faire éclater la miséricorde du Seigneur sur les uns et sa justice sur les autres, pour la gloire et la justification des derniers et l'entière ruine et condamnation des premiers. Il faut que ces choses arrivent avant la consommation des siècles; que ces choses donc ne vous découragent point et n'affaiblissent point votre foi, qu'elles ne diminuent nullement la confiance que vous devez mettre en Dieu et l'espérance que vous devez avoir en lui. Heureux sont ceux qui ne seront pas scandalisés au sujet de Jésus-Christ. Heureux celui qui persévérera jusqu'à la fin sans rougir de la foi. Ceux-là et ceux-là seuls seront couronnés. Mais malheur à ceux par qui le scandale arrive, malheur à ceux qui affligent, divisent et troublent l'église, épouse du Sauveur.
Je commence. L'église, mes frères, a toujours éprouvé des persécutions dans tous les siècles; elle a toujours triomphé de ses ennemis; assistée de Dieu même, elle en triomphera toujours. Elle peut être agitée et troublée ici-bas, la barque de Pierre peut être battue des flots et de la tempête, mais elle ne sera jamais anéantie, elle ne peut périr ni être submergée. Jésus-Christ l'a assuré, cela doit nous suffire, notre confiance après cela doit être entière et notre foi assurée. L'enfer peut, à la vérité, l'attaquer ici, se déchaîner contre elle, décharger sa fureur sur ses enfants, mais il ne prévaudra jamais.
En vain donc fait-il des efforts, en vain cette philosophie orgueilleuse, ces prétendus sages, ces esprits forts avec leurs prétentions à la raison dans leur fougue impérieuse chercheront-ils à l'éteindre, à la faire disparaître de dessus la terre; ils périront couverts de confusion et de honte, ils n'auront pour portion que la rage et le [désespoir]. L'étang de soufre et de feu sera leur demeure, un ver qui [rongera] éternellement et la mort, cette seconde mort dont parle l'écriture qui n'est rien qu'autre que la (damnation), mort éternelle dans l'enfer [où] Satan et ses anges seront leur partage pour tout jamais.
O [mon] Dieu !, ayez compassion d'eux, ces coupables sont vos enfants rachetés au prix du sang de Jésus-Christ, votre fils unique. Je reviens [et] je commence maintenant à dire ce que j'ai entrepris de vous apprendre, mes frères, mais pour cela il faut d'abord que vous sachiez qu'avant le commencement de cette désastreuse révolution, il régnait en France comme en Angleterre un affreux libertinage, une étrange corruption dans les moeurs et dans la foi qui avait saisi, gâté et gangrené le coeur de presque toute la jeunesse d'un certain rang et de presque tous les coeurs. Les maximes antisociales, les principes antireligieux, les propositions séduisantes et immorales, libertines, sacrilèges et impies répandues dans les livres des Voltaires, des Rousseaux et autres prétendus sages et soi-disant réformateurs et législateurs du genre humain avaient produit ces pernicieux effets.
Le mal a bientôt gagné toutes les classes de la société et dès lors, nos sages ont cru pouvoir tout oser, tout entreprendre, assurés qu'ils se voyaient d'être soutenus. Pour lors, Voltaire, le plus hypocrite de tous les hommes [de la terre] et le coryphée de l'entreprise, lui qui semble, comme je l'ai lu, [4] un esprit malin, un démon incarné venu en ce monde pour le malheur des mortels, forma l'horrible projet d'anéantir la religion de Jésus-Christ et d'ériger à sa place un système aisé et facile flattant les passions. Il s'associa bientôt dans cet abominable complot d'autres gens du même caractère guidés par le même esprit; leurs écrits séduisants se répandirent bientôt, furent lus par la jeunesse avec avidité. Les ministres de l'autel et en particulier les Jésuites s'élevèrent aussitôt contre les écrits et leurs auteurs pour arrêter les progrès du mal qui gagnait. Ces esprits infâmes dont la plume était trempée dans le venin et dans le poison de la malice publièrent des calomnies atroces contre le clergé, de prétendues anecdotes curieuses qui diffamaient les chefs de l'église. Mais leur rage se porta d'abord contre la société des Jésuites qui semblait, par les membres habiles en tout génie qu'elle contenait, être comme le boulevard ou le soutien de l'église, eux, mes frères, qui sont vos pères dans la foi et qui avaient établi dans ces contrées un tel ordre, une telle discipline, que la foi, la probité, la religion de vos pères instruits par eux, a fait et fait encore l'admiration du monde et a même attiré des louanges de la bouche de leurs ennemis: foi, probité, simplicité de moeurs à laquelle je veux rendre témoignage moi-même devant vous d'après la connaissance que j'ai pu en avoir depuis que je suis parmi vous.
À mon arrivée, j'ai aperçu dans les anciens quelques vestiges de cette précieuse simplicité, de cette foi vive; puisse Dieu la faire renaître entièrement au milieu du peuple dont je me crois honoré d'être le pasteur aujourd'hui. C'est le plus grand, le plus ardent, le plus sincère de mes souhaits; ce sera votre plus grand bonheur dès cette vie, ô jeune génération !, de revenir en quittant le libertinage auquel vous vous abandonnez, abaissée à cette simplicité de moeurs, de foi, à cette probité qui a régné dans vos pères. Elle vous procurera une paix et une joie inaltérable qui vient de Dieu et est produite par le témoignage d'une conscience droite.
Le premier coup donc que ces soi-disant philosophes, comme ils s'appellent eux-mêmes, prétendant être les seuls hommes qui aient de la sagesse et de la raison, le premier coup, dis-je, qu'ils aient porté à la religion et qui a été comme leur coup d'essai est la destruction de cette belle société des Jésuites; soutenus par de puissants sectateurs, ils les ont représentés comme les pestes du genre humain et comme les ennemis de son bonheur, comme les assassins des rois, comme les usurpateurs de l'autorité des princes, et enfin sont venus à bout, à force de calomnies et de fausses accusations, d'intéresser les puissants de la terre dans leur parti pour détruire les Jésuites et les faire entièrement disparaître de dessus la terre. Ils y ont, hélas !, trop malheureusement réussi, fortifiés par la destruction et l'entière suppression de ceux qu'ils considéraient comme le plus grand obstacle à la réussite de leur projet infernal. Ils ont attaqué avec plus d'audace le clergé en fonction et spécialement les évêques; ils ont répandu dans leur malice les histoires les plus scandaleuses de ceux que le peuple considérait auparavant comme de bons pasteurs et ont ainsi détruit ou au moins diminué parmi un grand nombre la bonne opinion qu'on avait [conservée] [5] d'eux. Enfin, mes frères, les péchés des pasteurs et des peuples ayant provoqué la colère de Dieu, et les grands desseins de la divine providence devant s'accomplir, Dieu, pour faire le choix de ses vrais enfants et séparer suivant les expressions de l'écriture les brebis d'avec les boucs, la paille du bon grain, a permis l'étonnante révolution qui a causé cette guerre qui nous afflige aujourd'hui. Aux premiers commencements de cette révolution, le changement, quelques réformes demandées et attendues, nécessaires et désirées, semblaient plaire à toutes les classes de la société. Mais nos prétendus sages, ennemis de tout ordre et de toute société ainsi que de toute religion avaient excité, fomenté, encouragé cette nouveauté pour mieux faire réussir leurs funestes projets. Ils saisirent évidemment la disposition au changement qu'ils trouvèrent dans le peuple et pour le mettre de leur parti, ils se prêtèrent à toutes ses vues, parurent disposés à satisfaire ses demandes, le corrompirent, le flattèrent, l'indisposèrent contre leurs supérieurs tant civils qu'ecclésiastiques, profitèrent adroitement de toutes les circonstances, de toutes les aventures, tournèrent tout à l'avantage de leurs desseins sans les perdre de vue pour un seul moment. Quoique quelquefois ils aient paru prendre des mesures qui semblaient contraires, ce n'était que pour mieux déjouer leurs opposants et tromper ceux qu'ils voulaient rendre leurs dupes. Ruses, artifices, stratagèmes, mensonges, calomnies atroces, fausses imputations, complots nocturnes, déguisements, assassinats secrets et publics, pillage des maisons de leurs ennemis, vols, meurtres, tout leur a été bon, tout était légitime pour eux pourvu qu'il conduisit à leur fin. Dès qu'ils se virent assurés de l'opinion publique, qu'ils crurent avoir mis le peuple de leur côté par les grands privilèges et les grands soulagements qu'ils prétendaient lui procurer, ils déclarèrent ouvertement et publièrent sans restreinte le juge[ment qu'ils] avaient d'amener un nouvel ordre de choses et cherchèrent à [saper] les fondements de la monarchie française qui avait fleuri pendant 1 400 ans. En renversant le trône de leur [roi], renversant aussi l'autel de leur Dieu, la corruption démente qu'ils avaient amenée par leurs infâmes libelles, la diminution de la foi qu'ils avaient causée en augmentant le libertinage et la dissolution dans tous les rangs, les ministres entachés de leurs pernicieux principes qu'ils avaient eu le crédit d'introduire parmi le clergé et de placer sur les trônes de l'église qui au lieu d'être les lumières sur le chandelier pour m'exprimer comme l'écriture, apportaient l'abomination de la désolation jusque dans le sanctuaire, et obscurcissaient par leurs oeuvres ténébreuses la lumière simple et brillante de l'évangile de Jésus-Christ. Tout les seconda, les appuya, les encouragea, les favorisa et Dieu dans sa colère permit que tout leur succédât au-delà même de ce qu'ils osaient espérer. Mais, mes frères, que ces choses ne vous scandalisent et ne vous découragent point. Dieu est le père de ses enfants, il connaît ceux qu'il s'est choisis, qu'il a prédestinés dans sa miséricorde pour la vie bienheureuse et il nous apprend lui-même que le triomphe des méchants est de courte durée; ils ont paru et ils disparaîtront, comme une fleur [6] qu'on coupe et qui se flétrit, comme une ombre qui passe. J'ai vu l'impie, dit le roi prophète, plus élevé que les cèdres du Liban; je n'ai fait que passer et il n'était déjà plus. Se voyant les maîtres, ils ont tout osé et ont établi un nouveau système de liberté et d'égalité, ils ont tout changé dans l'église et dans la religion voulant forcer par des serments sacrilèges, les pasteurs à admettre une discipline et des lois qu'ils avaient eux-mêmes inventées; et chassant, exilant, emprisonnant, faisant mourir par le feu, par l'eau, par la faim et par toutes sortes de mauvais traitements ceux des pasteurs qui, fidèles à leur baptême et à leur ordination, restaient constamment attachés à leur foi et à l'église leur mère, mettant à leur place de faux bergers, des mercenaires, des loups ravisseurs couverts de peaux de brebis qui répandaient la désolation, la terreur et le carnage dans la bergerie de Jésus-Christ. Après ce coup ils essayèrent de renverser le trône de leur roi, et ce trône autrefois si glorieux, ce sceptre si puissant, cette couronne si brillante que 14 siècles de durée avaient affermis, [ ... ], ornés et embellis ne purent résister aux efforts réunis de tous ces impies; ils furent renversés, brisés et détruits, et ils firent ensuite tomber sur un infâme échafaud par le cruel tranchant d'un instrument de nouvelle invention la tête innocente du meilleur des rois après avoir abreuvé la fin de ses jours du fiel le plus amer, de leurs insultes et de mauvais traitements. Après cet attentat ils abattirent les églises, brûlèrent les Saintes écritures, blasphémèrent contre l'évangile, renoncèrent à Jésus-Christ, renièrent leur Dieu, renversèrent ses autels, dépouillèrent, maltraitèrent, chassèrent [ ... ] ses ministres, profanèrent et pillèrent le sanctuaire et les vases sacrés qui en faisaient la richesse et l'ornement, bannirent les fêtes et les jours dédiés au culte du Seigneur, insultèrent les vierges consacrées à Dieu, s'emparèrent des biens des pauvres, des monastères et des églises et se les [approprièrent] comme pour faire la guerre au ciel et à la terre et voulant qu'il ne restât quelques vestiges de l'ancien ordre, du gouvernement et de l'ancienne religion, ils firent un nouveau calendrier changeant le nom des jours, des semaines, des mois, commençant à compter sur de nouvelles dates. Après avoir enivré le peuple du sang de ceux qu'ils appelaient ses ennemis qui auparavant étaient ses maîtres et ses pasteurs, après avoir arrosé la terre de leur malheureuse patrie du sang de leurs concitoyens, après avoir causé tant de ravage dans toute la France, pour tout dire en un mot après tant de forfaits, ils osèrent menacer tous les trônes de la terre du même renversement, tous les rois du même traitement qu'ils avaient fait [ou] tenaient de faire éprouver au leur, et à cet effet ils déclarèrent la guerre à tous les potentats, à tous les peuples qui n'imiteraient pas leur frénésie; la mort à tous ceux qu'ils appelaient tyrans et la destruction de tous les esclaves qui leur obéissaient, l'abolition de tous les cultes, crainte que Dieu dont ils ne [7] voulaient plus reconnaître l'existence ne fut honoré de quelque manière que ce fut, crainte que son nom ne restât encore connu sur la terre, et dans l'enthousiasme et la frénésie qu'ils trouvèrent moyen d'inspirer aux Français dans leur rage et leur fureur, ces révolutionnaires firent des levées de soldats énormes pour mettre leurs menaces en exécution et portaient le ravage, le carnage et la destruction et le même trouble qu'ils avaient causé chez eux d'abord, chez leurs voisins ensuite dans les pays éloignés. Ils se sont emparés des plus belles contrées de l'Europe, y ont introduit le système de leur folie et enfin pour couronner l'oeuvre infernale qu'ils voulaient achever, ils ont attaqué, maltraité, insulté le chef de l'église sans qu'il les eût provoqués et quoiqu'il n'eût montré que de la patience contre leurs usurpations et leurs insultes répétées, ils l'ont enfin enlevé de sa propre maison, dépouillé de tout excepté de ses habits et malgré l'âge de 82 ans et ses infirmités, ils l'ont fait captif et emmené en France où il est mort il y a près d'un an, leur prisonnier. Ainsi attaqués, ainsi insultés, les princes se trouvèrent obligés de se défendre.
Voilà, mes frères, dans la vérité, l'origine, les motifs et les progrès de la guerre désastreuse dont nous devons désirer et demander la fin aujourd'hui. La fureur et la vengeance des révolutionnaires français s'est principalement déchaînée contre le royaume, la puissance et le commerce du peuple Anglais dont ils cherchent à troubler l'ordre, déranger l'économie, (ruiner) et abolir les ressources et renverser le trône pour s'emparer des richesses que ce peuple laborieux s'est acquis par son négoce et son industrie. Les effets terribles de cette funeste [guerre] ont été variés; les succès et les revers semblent s'être succédés. Nombre d'années depuis qu'elle dure ne semble point encore en annoncer la fin qui serait tant à souhaiter. C'est pour ce motif que nous sommes assemblés aujourd'hui d'après l'invitation et les ordres de ceux qui nous gouvernent; c'est pour fléchir la colère divine et attirer sur nous la miséricorde du ciel, et le prier de mettre fin à cette guerre que nos péchés ont causée et qu'ils entretiennent.
Prions donc, mes frères, dans cette vue; demandons non pas que Dieu nous donne la force et les moyens de massacrer, de détruire nos ennemis, non pas de rendre le mal pour le mal, demandons non pas que le feu du ciel vienne écraser, pulvériser ceux qui ont occasionné un si funeste désastre, attiré sur nous un fléau si affligeant et si destructif, de telles prières ne doivent point être celles des chrétiens qui doivent aimer leurs ennemis d'après les préceptes et l'exemple de Jésus-Christ leur Sauveur; de tels sentiments de vengeance ne doivent pas même entrer dans leur coeur, eux qui doivent prier pour ceux qui les persécutent et rendre le bien pour le mal. Mais prions Dieu qu'il accorde la grâce de la persévérance à ceux qui dans ces temps malheureux et ces conjonctures fâcheuses ont eu le bonheur malgré les difficultés de conserver la foi de leurs [pères]. [8] Je veux dire la foi de l'évangile. Prions-le de changer le coeur de ces impies qui l'ont si injustement outragé et troublé son église, de les ramener à la voie de la justice et de la vérité en leur faisant la grâce de connaître et sentir leur faute pour en faire pénitence et en obtenir le pardon. Prions Dieu qu'il daigne rétablir la paix, la justice et la religion et l'ordre dans mon infortunée patrie; prions Dieu qu'il soutienne et conserve son église qui souffre dans le temps fâcheux de la défection de ses enfants. Prions Dieu, mes frères, qu'il ait pitié de nous-mêmes et qu'il nous préserve de tout mal, de tout danger et surtout du malheur de perdre la foi. Demandons-lui que son saint nom soit connu, qu'il soit aimé, adoré et glorifié par tous les hommes. Prions-le pour le souverain qui nous gouverne aujourd'hui et qui nous a accordé la liberté d'exercer librement notre culte et d'adorer Dieu sans crainte. Remercions le Seigneur de cette liberté dont les Catholiques ne jouissaient pas dans les domaines des Anglais avant le présent règne. Remercions-le encore de la tranquillité dont nous jouissons dans ces contrées écartées et éloignées du foyer de tant de malheurs qui désolent l'univers. Prions, mes frères, prions pour la conservation du bon ordre dans le gouvernement sous lequel nous sommes. C'est notre obligation. Prions pour le retour de la paix puisqu'elle est et doit être l'objet le plus ardent de nos désirs. Prions-le pour la prospérité des armes de sa majesté, pour la conservation de tous les ordres de l'église et de la société, pour notre Saint-Père le pape ou pour leurs éminences les Cardinaux qui doivent le choisir, afin que Dieu veuille bien les assister pour mettre à la tête de l'église un chef capable de la gouverner. Prions pour les évêques, les prêtres qui travaillent au salut des âmes, prions pour les princes, pour les magistrats et pour tous les officiers établis pour nous gouverner afin que Dieu les éclaire et les [assiste] pour le bon gouvernement des hommes. Enfin, mes frères, prions pour tout le peuple chrétien et pour tous les hommes afin que nous puissions vivre tous sur la terre en paix et sans péché et ainsi parvenir à la félicité éternelle que Dieu nous a promise et que je vous souhaite en Jésus-Christ, Notre-Seigneur, qui vit &c.
Prêché à Sainte-Marie le 27 juin 1800 en un jour de jeûne commandé de la part du gouvernement.
Au Cap-Sable le 22 septembre 1800 à une messe de dévotion publique.
(1) Université de Moncton, Nouveau-Brunswick. (retour à 1)
(2) La Bible de Jérusalem écrit le nom de ce roi, Kushân: Jg 3,8. (retour à 2)
pour écrire à l'auteur de cette page.
La dernière modification à cette page date du 22 janvier 1999.